26.3.06

LA TAGIFLETTE


Une tagiflette est une tartiflette qui a fricoté avec un tagine.

C'est donc une tartiflette, à la base, où les lardons sont remplacés par des parcelles de citron confit.

Le citron confit se marie à merveille avec le cumin, et le munster par ailleurs aussi. Le cumin est capital dans un tagine de poulet au citron confit. On sert le munster en Alsace avec des graines de cumin que l'on croque avec le fromage, sur le pain.

Sur l'idée que les amis des amis font de bons amis,surtout quand on les voit en compagnie de nos amis communs, on va marier citron confit et munster en présence du cumin. La tagiflette suppose donc de remplacer le reblochon traditionnel de la tartiflette par un munster, et c'est le cumin qui permet l'alliance heureuse et surprenante entre l'amertume du citron confit et un fromage fortement puant comme l'est, indéniablement, le munster, surtout après qu'il a passé au four. L'huile d'olive des citrons confits permet de faire l'économie de la crème fraîche qui figure habituellement dans la tartiflette, et qui n'allège pas ce plat, déjà si fromagé. La douce pomme de terre enrobe le tout et fait contrepoint à toutes ces personnalités puissantes. Et puis elle absorbe et concentre les jus tout en fondant au bout de la fourchette.

Vous avez compris le principe. Vous faites cuire des pommes de terre à l'eau que vous coupez ensuite en rondelles et vous faites revenir des tranches d'oignon dans de l'huile d'olive. Graissez un grand plat avec de l'huile d'olive dans lequel vous déposez les tranches de pomme de terre mêlées de parcelles de citron confit (doucement sur le citron confit, trop, c'est amer). Mettez aussi les tranches d'oignon. Vous poudrez d'un peu de cumin, de sel et de poivre. N'oubliez pas de presser un peu d'ail dans le plat. Vous coupez ensuite un bon munster en deux que vous posez sur les pommes de terre, croute en haut, fromage contre les patates. Il faut que le munster couvre une bonne partie du plat. Les pommes de terre qui dépassent au bord, mettez leur un bon coup d'huile d'olive. Puis vous glissez dans un four à 220 degrés jusqu'à ce que le fromage ait été jusqu'au bout de sa course vers le fond du plat. Tous les goûts seront mêlés, ce sera bien bon.

Nota bene: il vous faudra des citrons confits pour faire une tagiflette. Ils s'achètent dans les épiceries arabes, à Belleville, Ménilmontant, quelques épiceries libanaises dans le 15ème à Paris. Sinon le petit Yzrael dans le Marais, ou la grande épicerie du Bon Marché (hou le mal nommé), etc. J'imagine que c'est aussi assez facile hors de Paris, mais je ne sais pas les adresses.

Le plus simple et le plus amusant est quand même de les faire soi-même: 5 minutes de préparation (et un mois ou deux d'attente, certes, mais ça fait très joli sur une étagère dans la cuisine).
Il faut un bocal en verre avec un couvercle (comme un gros pot de confiture ou un Le Parfait) et suffisamment de citrons pour qu'ils soient très tassés dans ce pot. Prenez de bons citrons non traités, ou bien lavez les très énergiquement en utilisant le côté vert et abrasif d'une éponge. Taillez au couteau une croix qui partage les citrons en quatre dans le sens de la longueur, sans aller jusqu'au bout. Prenez du gros sel et remplissez les citrons ainsi ouverts de ce sel, puis tassez les tous fortement dans le pot. Versez ensuite de l'huile d'olive jusqu'au bord. Fermez le pot, et oubliez le. Voici un citron après deux mois. Il est un peu flou, mais je n'ai pas pu faire mieux avec mon vieux Konica qui insiste pour faire la mise au point sur l'une des petites roses du décor de l'assiette.


C'est super, la tagiflette, et ça me paraît le plat idéal pour ce printemps hivernal, qui réclame à la fois encore une nourriture qui nous ôte le frisson, et déjà plein de clins d'oeil vers le soleil et le sud.

9.3.06

Le parti pris du pain


Aujourd'hui, des bouts du " pain" de Francis Ponge avec des bouts du mien. Ce petit poème de 1942, tiré du "Parti pris des choses," reproduit toutes les sensations du pain, sa vue, ses odeurs, saveur, son craquant et son moelleux, le sec de la croûte et l'humide de la mie.
Il y a même son bruit, mais oui ça existe : en boulange, on parle du "chant du pain" pour décrire les craquellements du pain qui refroidit sur sa grille. On les entend distinctement en approchant son oreille de la croute et on les aime, car leur présence indique qu'on a fait du bon boulot.
En 1942, Ponge n'a pu décrire que du pain au levain. La boulange à la levure ne s'est répandue qu'après la guerre. Et je vous dirai que je connaissais le "pain" de Ponge avant de faire mon pain au levain, et déjà je l'aimais.
Mais le plaisir du pain de mes mains me fait maintenant sentir celui de Ponge et m'émerveiller mille fois plus de la justesse de sa description: " La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne, comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillière des Andes"... ça commence comme ça et Dieu que c'est vrai !
Je me dis qu'un poème publié en 1942 a dû mûrir dans une mémoire affamée. Ca me rappelle mon père qui raconte que dans le camp où il a été détenu toute la guerre, et où, pour ne pas dire plus, on crevait de faim, on ne cessait d'échanger des recettes et d'évoquer des plats. Il paraît encore, c'est un récit rapporté par Rose Levy Beranbaum, que les prisonniers de guerre, à la fin, ne parlaient que d'un aliment, à l'exclusion de tous les plats d'abord passés en revue dans les baraques : le pain. Il a dû y en avoir, des élégies incroyables au pain perdu.

Voici, temps d'abondance, des photos du pain aux différents stades de sa fabrication, chacun amenant ses textures et ses odeurs, surette d'abord pour le levain de seigle, acide à la fin pour la vapeur du pain qui sort, et enfin douce et forte de la mie fraîche tranchée.

" LE PAIN


La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne, comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillière des Andes.


Ainsi donc une masse en train d'éructer...


... fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous jacente.


Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des soeurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres et la masse en devient friable...


Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation".


Francis Ponge, "Le pain", in 'Le parti pris des choses', 1942, Gallimard, p.46.

8.3.06

Mes bonnes adresses

Elles sont parisiennes comme moi.

Mon vrai bistrot de prédilection, c'est le LÉOPARD, boulevard Voltaire, entre le métro Charonne et le métro Voltaire.


On y est bien... J'y passe souvent boire un verre pour tenter de comprendre comment ça se fait. Je ne sais pas exactement. Le service est très enjoué, voire légèrement déjanté ; j'aime.


Il y a la lumière un peu blonde dans laquelle les volutes des cigarettes montent sans m'asphyxier. Visuellement, j'aime bien et même beaucoup la cigarette, mais pour le reste, pouah, pouah et repouah. L'aération doit être bonne au Léopard, ou mes sens mollifiés par la bonne ambiance générale.
La musique est bien aussi. Le soir, il y a des DJ qui mixent de l'électro, mais ce sont mes horaires maisonniers et je ne les ai jamais entendus.
Il demeure pourtant dans la journée un parfum des soirées. Je crois que c'est ça que j'aime beaucoup, être là dans le soleil paisible du matin devant mon café, dans les restes de la fièvre du soir. Voix rauque du service, flyers en bataille, odeurs un peu âcres imprégnées dans les murs et les banquettes.
La cuisine est ouverte à midi ; elle est simple, clairement faite pour bien nourrir son client, et non pour l'autoriser à se servir d'une fourchette au prétexte d'ingurgiter un mimimum de calories en parlant régime. Ca donne une clientèle de bonne compagnie. Le hamburger italien est si gros qu'il faut soit le manger gracieusement étage par étage, soit le prendre en main et accepter le dégoulinage de la crème au gorgonzola, des tomates, de la roquette, du steak, sur les grosses frites de l'accompagnement.


Récemment, les patrons du PETIT KELLER, dans la rue Keller, elle-même petite au point que je n'ai pas besoin de vous donner le numéro du bistrot, ont changé. C'est dans le 11ème, Bastille mais pas du tout Bastille pour l'ambiance. C'était bien aussi avant, je crois, bien que je n'y aie pas été depuis 10 ans avant le mois passé.
Je le proclame, le petit Keller est le meilleur rapport qualité-prix in town. Ils ont une formule à 16 euros LE SOIR : ça devrait être commun, mais Dieu sait que ça ne l'est pas, et ceci pour un menu tout à fait raffiné, avec des vraies délices.
Mon entrée d'antipasti, plein de petits légumes à la grecque et autres, était jolie, abondante et bonnissime, de même que la brochette de canard au figues, en plat, ou le gratin dauphinois avec la pièce de boeuf. J'ai goûté aussi le Saint-Pierre avec petit flan de légumes, mais ce poisson-là détenait à mon goût un peu moins les clés du paradis que ses camarades les animaux terrestres.
Le dessert, le dessert ! C'était quoi le dessert? Bon sang, je ne sais plus. Ce n'est pas tant sa faute que celle du bon et très abordable Bordeaux du patron et de la conversation, qui avait atteint (si je m'en souviens bien ?) des sommets à ce stade du dîner. Ah si ! Un tiramisù excellentissime, et je suis intraitable sur le tiramisù, étant très bien habituée, 'a casa', grâce à Michel (voir sa mythique recette).
Je ne vous ai pas dit encore combien le cadre est chaleureux, un beau vieux petit bistrot des années cinquante, avec une devanture rouge basque. Il n'en rajoute pas dans le folklorique, ni dans l'archicool. Et surtout, l'extrême gentillesse de la patronne et du patron, une belle dame aux longs cheveux, et un monsieur asiatique bien causant.


Cette image, c'était cet après-midi après la pluie, du côté de la rue des Rosiers.