Le parti pris du pain
Aujourd'hui, des bouts du " pain" de Francis Ponge avec des bouts du mien. Ce petit poème de 1942, tiré du "Parti pris des choses," reproduit toutes les sensations du pain, sa vue, ses odeurs, saveur, son craquant et son moelleux, le sec de la croûte et l'humide de la mie.
Il y a même son bruit, mais oui ça existe : en boulange, on parle du "chant du pain" pour décrire les craquellements du pain qui refroidit sur sa grille. On les entend distinctement en approchant son oreille de la croute et on les aime, car leur présence indique qu'on a fait du bon boulot.
En 1942, Ponge n'a pu décrire que du pain au levain. La boulange à la levure ne s'est répandue qu'après la guerre. Et je vous dirai que je connaissais le "pain" de Ponge avant de faire mon pain au levain, et déjà je l'aimais.
Mais le plaisir du pain de mes mains me fait maintenant sentir celui de Ponge et m'émerveiller mille fois plus de la justesse de sa description: " La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne, comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillière des Andes"... ça commence comme ça et Dieu que c'est vrai !
Je me dis qu'un poème publié en 1942 a dû mûrir dans une mémoire affamée. Ca me rappelle mon père qui raconte que dans le camp où il a été détenu toute la guerre, et où, pour ne pas dire plus, on crevait de faim, on ne cessait d'échanger des recettes et d'évoquer des plats. Il paraît encore, c'est un récit rapporté par Rose Levy Beranbaum, que les prisonniers de guerre, à la fin, ne parlaient que d'un aliment, à l'exclusion de tous les plats d'abord passés en revue dans les baraques : le pain. Il a dû y en avoir, des élégies incroyables au pain perdu.
Voici, temps d'abondance, des photos du pain aux différents stades de sa fabrication, chacun amenant ses textures et ses odeurs, surette d'abord pour le levain de seigle, acide à la fin pour la vapeur du pain qui sort, et enfin douce et forte de la mie fraîche tranchée.
" LE PAIN
La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi panoramique qu'elle donne, comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes, le Taurus ou la Cordillière des Andes.
Ainsi donc une masse en train d'éructer...
... fut glissée pour nous dans le four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevasses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière avec application couche ses feux, - sans un regard pour la mollesse ignoble sous jacente.
Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des soeurs siamoises soudées par tous les coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se détachent alors les unes des autres et la masse en devient friable...
Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect que de consommation".
Francis Ponge, "Le pain", in 'Le parti pris des choses', 1942, Gallimard, p.46.
5 Comments:
Magnifique ! Photos autant que texte !
magnifique mise en forme du texte, bravo !
Je découvre ton blog et trouve tes articles très intéressants ! Ton éloge du pain est formidable ! Tu as sublimé cet aliment si ordinaire mais pourtant si varié dans ses déclinaisons. J'ai pris beaucoup de plaisir à te lire !
Merci pour les mots de monsieur Ponge, surtout!
Mais ça me fait un très grand plaisir de trouver ces petites traces de lectrices contentes.
J'aime beaucoup ton site, c'est comme une invitation que tu nous faisais chez toi
Ta cuisine et tes recettes sont parfumées d'Italie et de générosité
Moi j'envisage de quitter l'ensignement et d'ouvrir un petit resto
Tanti auguri
victoria
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