Le fruit le plus poétique et le plus érotique de la Création : la grenade. Ses centaines d'arilles qui répandent un jus rouge frais et doux contiennent autant de graines. À la fois matrice et salut du voyageur assoiffé, il symbolise la vie sur les tapis persans. Dans le
Cantique des Cantiques, l'aimée a "des joues comme des moitiés de pommes de grenade" et de nos jours encore, au Moyen-Orient, pour parler d'une maison pleine d'enfants, on la dit pleine "comme une grenade".
La pintade, elle, ahem, compte sans doute parmi les volatiles les moins poétiques et certainement les moins érotiques qui soient,
ex aequo avec la dinde peut-être. Matez moi cette allure d'effarée : le petit oeil monomaniaque, le cou efflanqué, le menton rouge qui bloblotte, et les jupons en décapilotade. La grenade se marre langoureusement.
La recette est simple. Il faut juste prévoir un peu de temps pour la marinade, si possible, et
surtout arroser régulièrement durant la cuisson.
Elle a longtemps mûri dans ma tête, après la lecture, d'abord, de
ce billet alléchant et inspirant de Bénédict Beaugé et ensuite lorsque, dans une épicerie orientale, j'ai trouvé une bouteille de mélasse de grenade. On en déniche facilement, pour peu qu'on en connaisse l'existence. C'est un produit moyen-oriental très commun, particulièrement délicieux et peu onéreux. J'en fais aussi de vraies grenadines acidulées, en en mettant un fond dans un grand pichet d'eau fraîche, que je bois au litre dans les grandes chaleurs - wallah!, rien à voir avec les saletés qu'on vous vend sous le même nom ( - mais jamais elles n'entreront au Bistrot de Christine, ces eaux rosâtres au E098697608987786965843008736). (Ce doit aussi être fantastique comme base de sorbet - ou ne serait-ce que comme base d'esquimaux maison, dans ces moules Tupperware des mamies gâteaux).
J'ai pensé enfin à cet équilibre des saveurs dont j'ai appris en Palestine qu'il caractérisait les plats salés du pays: le contraste entre la saveur "acide" -
hamuda - et la saveur "grasse" -
dasama -. L'"acide" est juste acidulé et le "gras" ne dégouline pas de graisse : il s'agit plutôt de deux pôles de saveurs, dont le contraste marche bien. Les Palestiniens épicent plus volontiers avec ces notes acidulées qu'avec des saveurs pimentées : voyez le
sumak qui titille dans le
fattoush (Scalli donne la recette de cette salade fraîche aux bribes de pain, qu'elle a héritée d'un chauffeur de taxi) et dans le
mussakhan. Pensez aussi à ce fromage frais aigrelet, le
laban, qui contrecarre le fort mouton, dans le
mansaff. Chez moi, la dinde apporte le
dasama, et la mélasse de grenade, relayée par les grains de cassis dans la sauce, le
hamuda.
IngrédientsUne pintade
Une bouteille de mélasse de grenade
Quelques poignées de cassis
2 petits suisses ou l'équivalent de fromage frais
Des herbes qui se marient bien à ces saveurs fortes. J'ai utilisé, dans les produits de mes jardinières : plusieurs branches de marjolaine, d'estragon, de thym frais, une feuille de laurier et une de sauge
Un ou deux clous de girofle
Sel, poivre.
Pour l'accompagnement:
Boulghour complet (que vous trouverez aux mêmes endroits que votre mélasse de grenade).
PréparationPréchauffer à four doux (thermostat 6, ou 160 degrés - pas plus chaud), si vous n'avez pas le temps de laisser mariner. Sinon, après quelques heures de marinade du poulet farci dans la mélasse de grenade.
Mélanger les 2 petits-suisse ou le fromage frais avec les herbes, les clous de girofle, sel et poivre. Farcir la pintade avec le mélange. Cette étape favorise la tendreté de la bête cuite - rien de plus triste qu'une pintade sèche, et c'est vite arrivé. La bête est en effet peu grasse et digeste, ce dont on lui sait justement gré, en été.
Badigeonner le poulet de mélasse de grenade, allongée d'un petit peu d'eau pour que le fond du plat contienne quelques millimètres de liquide. Saler et poivrer. Laisser mariner quelques heures si possible.
Enfourner en comptant 1/2 heure par 1/2 kilo (farce comprise).
Préparer un sirop épais de mélasse avec de l'eau, du sel et du poivre, et en arroser la pintade très régulièrement, pour qu'elle ne se dessèche pas et qu'elle se laque bien.
Faire cuire le boulghour dans une casserole d'eau bouillante salée en fin de cuisson de la pintade.
Sortir la bête cuite et laissez la reposer pendant que vous recueillez les jus et la farce et les mettez dans une petite casserole. Déglacer avec un peu d'eau ou de bouillon, ajouter les cassis et les faire éclater sous l'effet de la chaleur, et laisser un peu cuire. Assaisonner la sauce, et la mélanger avec le boulghour, pour obtenir un accompagnement parfumé.
C'est bon; c'est vraiment bon! Je suis toute fière de ma production et je rêve des matinées estivales où je la préparerai en prévision du service de midi dans mon bistrot.
Le dos rouge et bien laqué de la bête.
Crédits photos grenade explosée et pintade qui batifole : Wikipédia.